Paul
24 avril 2020
« La vraie route Napoléon »
Par Antoine Chollier
Extrait : On peut se rendre compte aisément aujourd’hui, en suivant la belle route qui joint Digne à Castellane au milieu d’un paysage assez accidenté, de ce que pouvait être en 1815 un tel trajet pour des soldats peu entrainés et qui avaient déjà fourni depuis Golfe-Juan une rude étape. Après l’arête du Pas de la Faye, une descente abrupte conduisait jusqu’au creux d’une gorge où l’on franchissait la Siagne au Logis de Nans. C’est peut être à cet endroit que se produisit le premier accident survenu au trésor. Peyrusse, qui avait la garde de la caisse et qui ne quittait pas le convoi, s’était arrêté quelques instants après le départ de l’Empereur à Saint-Vallier pour faire manger les mulets. Recru de fatigue, il s’endormit et ne se réveilla que deux heures plus tard, seul, dans la nuit. Il se hâta pour rejoindre la colonne et bientôt il trouva sur le bord de la route deux caisses d’or recouvertes de paille qu’on avait dû abandonner sans doute parce que l’un des mulets avait roulé dans le ravin. Après avoir caché les caisses sous quelques cailloux, il gagna rapidement Escragnoles, d’où il revint avec bêtes et conducteurs, pour reprendre le précieux fardeau.
Escragnoles, qui se trouve à plus de mille mètres d’altitude, était la patrie d’origine du Général François Mireur, mort pendant la campagne d’Egypte. Napoléon s’y arrêta pour aller saluer la vieille mère aveugle de son ancien officier et remis à cette dernière une somme de cinq cents francs.
Le curé d’Escragnoles, l’abbé Chiris, avait préparé une abondante collation pour Napoléon et lui adressa un hommage de bienvenue en termes si choisis que l’Empereur, tandis qu’il se contentait de gober deux œufs, déclara « C’est un mitre qui convient à ce curé ; elle lui irait mieux qu’un simple tricorne ! ».
La colonie quitta Escragoles en pleine nuit. La dernière étape de cette journée du 2 mars qui devait l’amener jusqu’au point culminant de Séranon, à 1200 mètres d’altitude, fut extrêmement dure. Les hommes harassés de fatigue dans la neige jusqu’aux genoux ; les montures butaient et s’abattaient ; tout le monde avait mis à pied à terre et les lanciers démontés avançaient péniblement avec leurs pantalons basanés, leurs éperons, leurs lances et les harnais des chevaux, selles et brides, qu’ils portaient sur leurs épaules.
Il es près de dix heures du soir quand le gros de la troupe arrive à Séranon. Cambronne a heureusement fait préparer le logement. A la clarté des grands feux qui dressent leur flammehaute dans la nuit glacée, on voit les hommes s’écrouler de fatigue. A l’entrée du bourg l’Empereur a vu s’avancer devant lui Blaise Rebuffel, homme de confiance du marquis de Gourdon, maire de Grasse. Ce dernier a chargé Rebuffel de mettre à la disposition du souverain sa maison de campagne que l’on appelle solennellement le Château. En quelques heures l’état d’esprit de Gourdon a changé tout à tout, et c’est dans sa demeure que Napoléon passera la nuit, sans se dévêtir, dans un fauteuil désormais historuque.
Séranon Château de Brondet
Aujourd’hui la nouvelle route ne passe pas par Séranon, mais on peut voir à mi-côte, un peu à l’écart du village, au milieu d’un bouquet d’arbres, l’humble château du Brondet qui abrita l’Empereur pendant cette nuit là, le fauteuil impérial y a été longtemps conservé, ainsi que la table sur laquelle Napoléon s’accouda…
Au soir de cette première étape durant laquelle les hommes avaient marché près de vingt heures, la petite troupe débarquée la veille dans l’après-midi à Golfe-Juan avait parcouru plus de cinquante kilomètres en pleine montagne.
L’Empereur avait plus d’une raison pour ne pas bien dormir. Jusqu’ici l’accueil des populations avait été moins que chaleureux, un seul homme s’était joint à la troupe à Grasse. C’était le tanneur Isnard, et, si la colonne avait pu arriver jusqu’à Séranon sana encombre, c’était grâce à un concours de circonstances fortuites et particulièrement heureuses. On était loin de la réception enthousiaste qu’on avait pu imaginer et si Napoléon ne se déshabilla pas cette nuit, ce fut peut être parce qu’il craignait l’annonce de troupes lancées à sa poursuite et qu’il voulait pouvoir reprendre sa marche à la moindre alerte.
Le vendredi 3 mars, au premières lueurs du jour, Cambronne partit avec une lettre du maire de Séranon pour le maire de Castellane, annonçant que l’Empereur serait dans cette ville vers dix heures, avec une troupe dont la force était inconnue, et réclamant une réquisition de 5 000 rations de pain, de vin et de viande, plus 40 charrettes ou 200 mulets.
Napoléon ne se mit en marche que vers sept heures avec le gros de la colonne. Il descendit dans la haute vallée de l’Artuby que domine la haute montagne de Lachens.
Au Logis du Pin l’aubergiste lui offrit un peu de bouillon chaud ; après le hameau de La Batie on se lança à l’escalade du col de Luens par un véritable sentier de chèvres.
Une tradition veut qu’une des caisses du trésor ait été enlevée à cet endroit pra des habitants d’un hameau près du Mousteiret qui aurait tué deux des grenadiers pour s’en emparer. On raconte dans le pays que, lors de la construction de l’actuelle route nationale, deux squelettes auraient été retrouvés à côté des débris d’un coffre portant l’Aigle Impérial. Les livres de comptes de Peyrusse ne signalent pourtant aucune perte de cette somme. ».